Contribution à l’exposition Le Rêve des Formes, Palais de Tokyo, 12 juin – 12 septembre 2017.

David Chavalarias, Jonathan Pêpe et Thibaut Rostagnat
Installation interactive 2017

Nos sociétés numériques laissent de multiples traces sur le web et les réseaux sociaux, dont l’accumulation constitue le support d’une intelligence collective.

A l’instar de la chute lente et continue d’eaux calcaires, qui aboutit à la formation de stalagmites, cette accumulation de connaissances sur le web génère des formes qui se déploient au gré de l’actualité.

Issue d’une collaboration entre  David Chavalarias (CNRS) et deux artistes diplômés du Fresnoy, Jonathan Pêpe et Thibaut Rostagnat, l’installation Stalagmèmes vise à rendre perceptible ces traces de l’intelligence collective.

Elle met en scène des créatures trogloxènes dont les formes sont issues de l’analyse des débats en ligne sur le changement climatique. Celles-ci croissent en fonction de l’attention qui leur est accordée sur le web au moment où le spectateur les regarde. Le recours à des techniques issues de l’industrie du jeu vidéo permet de transposer ces phénomènes collectifs dans un espace poétique, invitant le spectateur à un questionnement sur l’origine de ces formes.

Cette installation s’appuie sur la plateforme de l’ISC-PIF Multivac

Remerciements :

Paul Guilbert, Jade Journeaux, Solène Haquette, Riwal Pacquentin, Maziyar Panahi, Fabrice Peronne, Eric Prigent, Lukas Trüniger.

La grotte de Saint-Cézaire, La grotte de baume-obscure Saint-Vallier, Scan Factory.

Co-production : Palais de Tokyo – CNRS (projet Science en Poche).

Avec le soutien de : la Région Nord Pas-de-Calais, la Région Île-de-France (DIM), la Ville de Paris (programme Émergence-s)

Le projet Stalagmèmes est né de la rencontre entre Jonathan Pêpe et David Chavalarias lors du cycle « l’Incertitude des Formes » organisé par le Fresnoy en amont de l’exposition. Jonathan Pêpe présentait alors son installation Exo_biote, un travail visant à inventer une typologie de formes et de mouvements possibles en détournant des technologies développées en « soft-robotique ».

Exo-Biote, Installation, Jonathan Pêpe 2015.

Les préoccupations de David Chavalarias concernant la reconstruction, l’analyse et la visualisation des dynamiques sociales collectives ont trouvé dans ce travail un terrain fertile pour une rencontre entre ces deux univers. L’ambition était de rendre perceptibles, voire tangibles, ces formes générées par les dynamiques sociales auxquelles nous prenons part et qui nous transcendent sous la forme d’une intelligence collective.

Chacun a déjà vu à l’œuvre les colonies de fourmis qui trouvent le pot de confiture le plus proche et s’y rendent en suivant un chemin qui semble bien balisé. Pour cela, elles se coordonnent via des phéromones déposées au sol lorsqu’elles se déplacent. La fourmilière est l’une des premières formes d’intelligence collective étudiée scientifiquement (Bonabeau et al 1999). Elle même, en tant que « super-organisme », génère des formes, comme par exemple les chemins empruntés par les fourmis qui la composent.

Le concept d’intelligence collective est ainsi étroitement lié à la notion de stigmergie, phénomène de coordination décentralisée d’un ensemble d’individus via des traces laissées dans l’environnement.

L’humanité utilise des procédés stigmergiques depuis des millénaires. Mais ces procédés acquièrent une place centrale dans l’évolution de notre culture depuis l’avènement du web et des nouvelles technologies. De nos jours, chacun peut laisser des traces visibles par l’humanité toute entière (billets de blogs, articles, commentaires, notes, likes, etc.) qui sont susceptibles d’influencer le comportement d’un grand nombre de congénères, où qu’ils soient du notre planète.

Quelles formes d’intelligence collective émergent du fait de ce changement inédit d’échelle ? Quelles traces laissent-elles dans nos environnements numériques et naturels ? Comment peut-on les représenter ?

L’intuition que cette forme d’expression collective doit être traitée comme un organisme à part entière nous a amené à la question des modalités d’interaction avec cet organisme. L’univers du jeu vidéo et de la modélisation numérique 3D nous sont alors apparus comme des passerelles possibles vers cette interaction homme-intelligence collective, et une co-création avec Thibaut Rostagnat et les univers virtuels qu’il développe s’est alors imposée comme une évidence.

Stalagmèmes s’appuie sur de nouvelles méthodes d’analyse des écrits numérisés développées par David Chavalarias : la reconstruction de phylomémies. Une phylomémie est une reconstruction et une visualisation de l’évolution d’un ensemble de thèmes tels qu’ils sont abordés au sein d’un corpus de textes.

Pour Stalagmèmes, David Chavalarias a utilisé un corpus de plusieurs millions de documents issus du Tweetoscope Climatique,  dispositif d’analyse en continu des débats concernant le changement climatique sur le web, développé à l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Ile-de-France (Chavalarias, Panahi, Castillo 2015). Ce dispositif avait lui même été conçu pour l’exposition Le Climat à 360° à la Cité des Sciences et de l’Industrie qui s’était tenu lors de la COP21.

Une branche de phylomémie a la forme d’un réseaux dont les nœuds sont des étapes et variantes d’un débat donné. Elle se déploie dans le temps avec l’évolution du débat qu’elle représente.

C’est une représentation poétique de ces branches qui est donnée à voir dans Stalagmèmes. Leurs formes ont été utilisée comme matière première et mises en scène par Jonathan Pêpe et Thibault Rostagnat afin les rendre organiques et aboutir aux stalagmèmes.

La description scientifique des branches de phylomémie utilisées dans Stalagmèmes est disponible sur cette page.

Extrait d’une phylomémie reconstruite à partir de données Twitter et web sur le changement climatique. En haut, un branche particulière. En bas, d’autres exemples de branches avec des morphologies spécifiques. Source : David Chavalarias.

Cette reconstruction de phylomémie est la première à s’appuyer sur des données de cette nature (Twitter + web) et reflète de manière inédite l’évolution de l’attention des réseaux sociaux et du web pour le changement climatique.

La croissance des phylomémies dans Stalagmèmes est pilotée par les données récoltées en temps réel par la plateforme Multivac de l’ISC-PIF (chef de projet : Maziyar Panahi), utilisées également dans le Tweetoscope Climatique (~500.000 tweets analysés par semaine). Une branche se met à pousser lorsque le débat qu’elle représente est discuté sur le web au moment où on la regarde. Si vous voulez savoir quels sont les sujets qui font pousser les stalagmèmes de l’exposition, consultez la description des branches de la phylomémie originale.

Certains débats  sont très vifs sur le web et les stalagmèmes associés croissent rapidement dans l’installation, d’autres au contraire sont plus confidentiels et mettront plus longtemps à se développer. Le spectateur peut alors percevoir les différences d’attention collective vis-à-vis des différentes thématiques liées au changement climatique. La prise de conscience ou la confrontation renouvelée avec ces débats le rend plus à même de s’exprimer sur le sujet, et donc, de participer à la croissance des stalagmèmes.

Entre 2015 et juin 2017, Multivac a collecté un corpus de plus de 70 millions de tweets avec contenus web associés portant spécifiquement sur les problématiques du changement climatique. Vous en avez la trace devant les yeux.