Présidentielle 2017 : Idéalisme, prosélytisme et hostilité des communautés politiques sur Twitter

Voir aussi la tribune dans le Libération du 20 avril 2017

Quantification des stratégies politiques

Sans viser l’exhaustivité, il existe au moins trois leviers pour gagner les voix d’un électorat : convaincre de la pertinence de son programme et de ses idées, convaincre de l’inadéquation voire du danger des programmes et des idées de ses adversaires, et enfin, rendre familier son nom et celui de son parti auprès du grand public. A cela s’ajoute une quatrième stratégie, utilisée par ceux qui souhaitent coûte que coûte accéder au pouvoir, quand bien même il faudrait piétiner les principes fondamentaux de la démocratie : le dénigrement.

Dans une précédente analyse (http://politoscope.org), nous avons proposé une méthodologie pour l’identification des différentes communautés de la twittosphère politique, c’est à dire, des groupes de comptes Twitter qui relaient de manière privilégiée les idées et prises de position d’un candidat ou d’une personnalité politique. Nous pouvons nous attendre à ce que les stratégies que nous venons de mentionner soient reflétées dans les pratiques de publication de ces communautés sur Twitter. Nous nous intéresserons ici aux trois premières stratégies. Nous aborderons la quatrième dans une prochaine analyse.

De manière purement quantitative, nous nous sommes intéressés aux proportions de tweets d’une communauté mentionnant l’un des candidats et son parti. L’analyse des productions de ces communautés nous a amené à faire deux hypothèses : quand un candidat ou sa communauté mentionnent son nom ou le nom de son parti, c’est pour défendre ses idées ou vanter les qualité du candidat ; lorsqu’ils mentionnent le nom d’un candidat concurrent ou de son parti, c’est pour attaquer ses idées ou mettre en évidence ses défauts.

Les pratiques de mention des différents candidats par les différentes communautés ainsi que leurs évolutions sont donc révélatrices des stratégies de communication mises en œuvre et de leur importance respective.

Méthodologie

Dans le cadre du projet Politoscope, l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Île-de-France suit plus de 3000 comptes de personnalités politiques françaises depuis le mois de juin 2016. Les tweets collectés (>40M au 10 avril 2017) sont ensuite analysés pour qualifier et quantifier les dynamiques de la twittosphère politique française à l’abord de l’élection présidentielle 2017.

Cinq candidats à la présidentielle utilisent massivement Twitter pour leur communication de campagne : Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, Emmanuel Macron, François Fillon et enfin Marine Le Pen.

Nous nous concentrons ici sur ces cinq candidats pour des raisons de fiabilité des estimations. Les autres candidats étant beaucoup moins présents sur Twitter, le nombre de leur tweets ou la taille de leur communauté ne sont pas suffisants pour proposer une bonne estimation de leurs stratégies.

Sur la base de l’identification des communautés politiques autour des candidats, nous avons calculé pour chaque semaine, pour chaque communauté et chaque candidat la proportion de tweets de cette communauté qui mentionne ce candidat ou son parti.

Nous pouvons alors définir plusieurs index pour qualifier les types de tweets émis par chaque communauté :

  • Degré d’idéalisme. Pour chaque communauté, dans quelle mesure exprime-t-elle ses idées dans l’absolu, en dehors de toute référence à un candidat ou à un parti ? Cela donne un degré d’idéalismede cette communauté.

  • Degré de prosélytisme. Pour chaque communauté, quelle est l’attention portée à son propre candidat ? Cela donne un indicateur du degré de prosélytisme de cette communauté.

  • Degré dhostilité. Pour chaque communauté, quelle est l’attention moyenne portée aux candidats concurrents ? Cela donne un degré dhostilité de cette communauté, c’est-à-dire sa tendance à combattre les idées ou les comportements des autres communautés ou à rechercher la polémique. En outre, le choix des candidats envers lesquels qui elle exerce son hostilité indique le degré de rivalité et le «menace» qu’elle attribue aux candidats concurrents.

  • Capital de focus. Pour chaque communauté, quelle est l’attention moyenne (en proportion de tweets) qui lui est accordée par les communautés concurrentes ? Cette part d’attention peut alors être exogène (liée à des événements externes tels que des affaires) ou endogène (parce que ce candidat constitue une menace particulière). Nous appellerons cela le capital de focus du candidat. En faisant l’hypothèse que les candidats, étant donné leur temps de parole limité, polémiquent d’autant plus sur les idées d’un concurrent que celui-ci est susceptible de constituer une menace pour sa propre élection, le capital de focus témoigne de la place du candidat dans le jeu politique : dans quelle mesure il est jugé gênant par les autres candidats.

Sur http://presidentielle2017.politoscope.org, Le Politoscope présente au jour le jour l’évolution de ces différents indicateurs.

Analyse (période 1er Juillet 2016 – 8 mai 2017)

Tout d’abord, commençons par constater que l’évolution de l’hostilité moyenne des communautés reflète très fidèlement la temporalité de la campagne : un pic lors de l’annonce de la candidature d’Emmanuel Macron (le 16/11/16), deux regains d’hostilité pendant les primaires de la gauche et de la droite (autour de 20%), une valeur moyenne entre ces deux primaires légèrement supérieure à ce qu’elle était avant les primaires de la droite (autour de 10%). Le début des ‘vraies’ hostilités est clairement perceptible dès la fin des primaires de la droite, c’est à dire lorsque l’ensemble des principaux candidats sont connus avec un degré d’hostilité qui double soudainement (50%) pour ensuite osciller entre 30 et 40 %.

Les différentes communautés politiques font preuve d’hostilité de manière relativement équivalente avec environ 33 % de leurs tweets qui mentionnent un candidat concurrent ou leur parti (période de référence : 5 mars – 5 avril). Seule la communauté de Benoît Hamon fait exception, étant de loin la moins hostile avec 18,67 % de ses tweets qui mentionnent un candidat concurrent ou son parti.

La communauté de Benoît Hamon est également celle qui s’exprime de la manière la plus détachée de toute référence à un candidat ou un parti particulier (fort index d’idéalisme), ce qui semble indiquer que les tweets de cette communauté se concentrent sur le contenu des programmes et des idées dans l’absolu, plutôt qu’ils n’émettent une analyse ou un jugement relatifs aux personnes et partis qui les défendent.

Côté prosélytisme, le paysage est très différent. La communauté de Marine Le Pen est de loin la plus prosélyte (40,14 %) tandis que celle de Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon sont les moins prosélytes (resp. 7,68 % et 7,53 %).

Ces données nous permettent de qualifier quatre types de militantisme politique sur Twitter :

  • Peu idéaliste, prosélyte, hostile : la communauté de Marine Le Pen

  • Assez idéaliste, modérément prosélyte, hostile : les communautés d’Emmanuel Macron et François Fillon

  • Assez idéaliste, peu prosélyte, hostile : la communauté de Jean-Luc Mélenchon.

  • Idéaliste, peu prosélyte, peu hostile : la communauté de Benoît Hamon.

Une analyse de l’évolution de l’hostilité et du prosélytisme de chaque communauté met en évidence des subtilités qui sont propres à leur agenda politique. Par exemple, sur la période du 1er au 7 mars 2017, lorsque François Fillon était poussé à la démission par une partie des Républicains en raison des développements du Penelope Gate, le prosélytisme de sa communauté (qui ne constituait qu’une partie des Républicains) connaissait un regain significatif (pour défendre son candidat) tandis que son hostilité étaient en chute libre. Dans le même temps, l’hostilité des autres communautés connaissait un regain, en particulier pour celles de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. Dès que la légitimité de François Fillon fut confirmée par le bureau politique des Républicains, l’hostilité et le prosélytisme de sa communauté sont revenus à leurs niveaux moyens d’avant la crise.

Pour comprendre les raisons du regain d’hostilité de la part des autres communautés sur cette période, il faut étudier l’évolution du capital de focus des candidats. On peut alors constater que cette hostilité était dirigée principalement vers François Fillon et sa communauté.

L’analyse du capital de focus des candidats, nous apporte d’autres faits marquants qui sont très révélateurs du climat et des stratégies de cette campagne présidentielle atypique (commencée avec le renoncement du président sortant, elle s’est poursuivie avec l’élimination lors de primaires des représentants des courants jusque-là majoritaires à gauche comme à droite, et l’apparition d’une nouvelle force politique au « centre »).

Les deux candidats qui ont le plus fort capital de focus depuis la fin des primaires de la gauche sont Emmanuel Macron (16,66 %) et François Fillon (11,27 %). Ces deux candidats sont clairement au centre des préoccupations des autres candidats. Mais les dynamiques de leur capital de focus respectif sont très différentes : en dents-de-scie pour François Fillon, avec des pics marqués par les révélations et ses problèmes judiciaires (donc un capital de focus plutôt exogène) ; beaucoup plus stable et en moyenne beaucoup plus élevé, pour Emmanuel Macron, qui apparaît comme le candidat au cœur des préoccupations des autres communautés (capital de focus plutôt endogène).

L’analyse de ces indicateurs réserve également quelques surprises. Par exemple, Marine Le Pen et sa communauté bénéficient d’un capital de focus relativement modeste (5,15 % sur le mois de mars 2017). Au vu de l’importance de cette candidature dans la campagne – beaucoup la prédisent au second tour – on peut dire que « personne ne parle d’elle », en tous cas, pas en proportion de sa capacité à se qualifier pour le second tour.

Nous pouvons proposer deux explications à cette anomalie. La première est que les voix des membres de la communauté politique Front National seraient plus difficiles à conquérir que les autres, leurs électeurs étant plus « radicalisés ». Nicolas Sarkozy en a fait les frais en 2012, lui qui disait vouloir « siphonner » les voix du Front National. C’est également ce que nous pouvons observer dans les données du Politoscope : une communauté dont le cœur est très militant et très fidèle à son leader. Ceci étant, il serait plus facile de chercher à se qualifier au second tour en prenant la place qui reste, que d’essayer de se battre contre l’ensemble des candidats.

La seconde explication est que cette anomalie de capital de focus pourrait révéler une stratégie à deux bandes de la part des autres candidats. Beaucoup semblent faire l’hypothèse que si Marine Le Pen arrive au second tour, la majorité des français rallieront un front républicain, comme en 2002, assurant ainsi la victoire de l’autre candidat. Mais penser, pour un parti, que l’enjeu du premier tour est d’éliminer tout ce qui n’est pas Front National est un pari très risqué. Car à exercer la majeure partie de son hostilité envers les idées et programmes de tous ses concurrents à l’exception du Front National, les candidats polarisent de manière asymétrique leur électorat. Ils diminuent ainsi d’autant la solidité d’un éventuel front républicain au second tour et augmentent, par là même, les chances d’une victoire de Marine Le Pen.