Le jour de l’investiture de Trump, quittons X pour ne pas perdre la guerre de l’information !
David Chavalarias, Libération TRIBUNE Idées et Débats, 14/11/2024
Un agresseur sexuel et délinquant financier vient de remporter de manière incontestable l’élection présidentielle de la première puissance nucléaire. Cela en a sidéré plus d’un. Mais ce qui doit nous faire réfléchir, ce n’est pas tant le nombre d’électeurs pro-Trump, qui n’est pas beaucoup plus important que lors de sa défaite de 2020 (+0,7 % des électeurs inscrits au 14 novembre), mais la marge de voix qui a permis à Trump de l’emporter (+3 millions de voix par rapport à Harris) en comparaison de l’emprise du réseau social d’Elon Musk sur l’électorat américain : X, feu-Twitter, compte 100 millions d’utilisateurs aux États-Unis. Et ceux-ci étaient, lors du rachat de 2022, plus représentatifs de l’électorat de Harris que de celui de Trump.
La stratégie électorale de Musk est alors claire : utiliser son emprise sur ce réseau social pour amener ne serait-ce qu’une petite partie de ses utilisateurs à changer d’avis en faveur de Trump. Ajoutez à cela que X est la source de choix des médias traditionnels pour trouver les verbatims des candidats et observer les tendances politiques, vous comprendrez l’avantage stratégique d’être propriétaire de X.
En rachetant Twitter/X, Musk a donc réalisé un coup de maître : il a acquis les données personnelles et l’environnement informationnel d’une grande partie des électeurs démocrates et des indécis. Plusieurs interventions dans l’algorithmique et le design de la plateforme lui ont ensuite permis de modeler Twitter/X à son image et de devenir maître du cœur battant de l’information mondiale : au nom de la « liberté d’expression », la modération n’a plus cours sur ce réseau ; des comptes autrefois bannis pour appel à la haine, promotion du nazisme ou usurpation d’identité ont été rétablis ; les fils d’actualité ont été enrichis de manière systémique en contenus toxiques, la toxicité étant par ailleurs la signature des prises de parole de l’équipe Trump ; et les messages de Musk et son profil sont mis spécifiquement en avant auprès des utilisateurs. Un chiffre ne trompe pas : du haut de ses 200 millions d’abonnés, les messages politiques de Musk ont amassé plus de 17 milliards de vues depuis qu’il s’est rallié à Donald Trump – soit plus de deux fois le nombre de vues de l’ensemble des publicités politiques sur Twitter !
«Déchéance morale sans précédent»
Or, les messages de Musk et de ses équipes sont tous sauf de l’information : ils ont diffusé de fausses vidéos de Kamala Harris sans en préciser la nature, promu de fausses informations sur les processus électoraux ou les migrants, organisé des loteries à un million de dollars qui s’apparentent à de l’achat de votes, relayé des campagnes frauduleuses organisées par ses équipes… Détaillons une de ces initiatives douteuses : un faux site de campagne de Harris, financé par Musk, en caricaturait le programme de manière à ce que la candidate devienne un repoussoir pour une partie de son électorat. Ce site faisait par exemple croire qu’elle encourageait la transition sexuelle chez les mineurs LGBTQIA en veillant «à ce que chaque jeune [LGBTQIA] ait accès aux soins dont il a besoin, sans craindre la discrimination ou l’intervention des parents». Ce site a été promu non seulement sur X, mais aussi via des campagnes de SMS massives, dont on ne peut exclure qu’elles aient utilisé les données de X pour un ciblage plus efficace.
La campagne américaine a ainsi atteint des niveaux de sophistication dans la désinformation et de déchéance morale sans précédent, et il faut s’attendre, si rien ne change, à ce que les démocraties européennes ne résistent pas à ce type d’environnement. Elon Musk a déjà prouvé ses velléités à s’ingérer dans la politique européenne, par la promotion de la théorie du grand remplacement en Allemagne, sa proximité avec Giorgia Meloni ou son incitation à la guerre civile lors des émeutes de l’été 2024 au Royaume-Uni. Le 20 janvier 2025, Trump sera investi, et Musk n’aura donc plus aucune limite. X deviendra la principale machine de propagande américaine. Les utilisateurs de X/Twitter deviendront alors la chair à canon de la guerre cognitive de l’extrême-droite américaine (et accessoirement d’autres puissances étrangères).
Or, on ne gagne pas une guerre cognitive en terrain ennemi. Toute utilisation de X profite désormais directement ou indirectement au programme de conquête des esprits de l’alt-intern, cette internationale de l’extrême-droite promue par l’alt-right américaine et le Kremlin. Arrêtons de faire l’autruche au nom de notre audience. Il faut, coûte que coûte, rependre la main sur nos espaces informationnels.
La bonne nouvelle est que cela est relativement facile. N’oublions pas que c’est nous, utilisateurs, et uniquement nous, qui faisons la valeur d’un réseau social. Comme disait Coluche: «Il suffit qu’on arrête d’acheter pour que cela ne se vende plus».
Le 20 janvier 2025, quittons X !
L’important est de le faire en gardant notre audience, nos threads, notre capital social afin de ne pas perdre leur valeur sociale globale. Pour cela il faut s’organiser, et cela commence maintenant ! D’ici le 20 janvier, des outils de migration nous permettront de transférer nos fils de discussion (threads) et notre audience (followers) de X vers d’autres réseaux où la liberté d’expression est assurée. Pour les utiliser, il vous faudra deux choses ; première étape, obtenir l’archive de tous vos tweets. Demandez-en la copie à X dès maintenant et conservez-la précieusement. Et deuxième étape, obtenir un compte sur un réseau social compatible avec la liberté d’expression. Créez-le dès maintenant, même si vous ne l’utilisez pas d’ici là. Les principales alternatives à X sont Mastodon et BlueSky, ils suffit donc de créer un compte sur chacune de ces plateformes pour s’assurer un environnement sain.
Pour garantir la liberté d’expression, un réseau social doit permettre trois choses : être maître de ses données, de son audience et de l’algorithme de recommandation. X ne vous offre aucun de ces trois leviers. Mastodon et BlueSky sont les principales alternatives à ce jour. Ils sont moins populaires, donc actuellement moins intéressants. Mais avec un peu de coordination, le 20 janvier, ils seront au cœur de l’information.
Musk n’hésite pas à censurer des contenus pour éviter à ses utilisateurs de s’informer. En 2022, le mot «Mastodon» avait été censuré sur X pour masquer la première grande fuite d’utilisateurs. Lors de cette seconde initiative, il y aura certainement de nouveaux contre-feux. Pour bien réussir à s’extraire des environnements numériques toxiques, il faut donc le faire de manière coordonnée, en préparant le terrain en amont et en diversifiant les actions. Le 20 janvier, X sombre aux mains du fascisme, mais nous reprenons le pouvoir. #20janvier