Du 13 au 17 Mai, l’ISC-PIF a organisé un cycle de projections de films grand public suivis de débat animés par des scientifiques. A travers chacun des 5 films sélectionnés, le public découvre un aspect différent des systèmes complexes qui nous entourent : diffusion des idéologies autoritaires, système financier mondial, interactions neuronales du cerveau, dynamique des écosystèmes et réseaux sociaux.

Lumière sur les débats autour de ces problématiques soulevées à l’issue de la projection des cinq films sélectionnés : La Vague, la Casse du siècle, Vice-versa, Avant le déluge et Disconnect

 

LA VAGUE : Le processus complexe de diffusion des idéologies

La Vague raconte l’histoire d’un professeur de lycée allemand qui décide de mener une expérience insolite sous forme de jeu de rôle, sur la dictature avec les élèves de sa classe. Ces derniers sont convaincus qu’un régime autoritaire ne pourrait plus voir le jour en Allemagne. Mais très vite le jeu prend de l’ampleur et s’étend rapidement à l’extérieur du lycée.

Gérard Weisbuch, Directeur de recherche au département de Physique de l’ENS dont les recherches portent, entre autres, sur les processus de diffusion culturelle et les dynamiques à l’œuvre dans la contagion de l’information et dans la prise de décision, a animé le débat en réponse aux questions soulevées par le public à l’issue de cette première projection.                   

Le processus de la constitution de l’évolution de l’opinion

Le scientifique éclaire le public sur la problématique de la constitution de l’évolution de l’opinion. l’hyothèse émise par les psychologues à travers leurs travaux de la psychologie expérimentale montre que les humains sont beaucoup moins rationnels que ce qu’ils n’imaginent. L’Homme est prêt à accepter dans ses échanges avec l’autre que ce qu’il sait déjà ou ce qui se rapproche de ses opinions. A partir de cet hypothèse, on s’est intéressé à la manière dont une population d’individus va aboutir à un consensus ou au contraire avoir des amas d’opinions séparées. Et c’est ainsi qu’on peut expliquer l’émergence de la dictature et de l’extrémisme. L’approche systèmes complexes qui se base sur des modélisations permet d’éclairer cela.

La Vague relate des événements qui se sont réellements passés en 1967 à Palo Alto aux États Unis, sous le nom de La Troisième Vague par extension au Troisième Reich. A l’exception de quelques détails exigés par le cinéma dramatique, la dynamique décrite par le film s’est réellement passée.

Ce qui a étonné le chercheur par rapport aux événements qui se sont déroulés aux Etats Unis c’est que Palo Alto est une ville de chercheurs et de l’IA, d’où le caractère imprévisible de ce type de comportement capable d’évoluer dans un milieu de gens instruits.

L’éclairage apporté par les systèmes complexes

L’approche des systèmes complexes permet d’étudier ces phénomènes. A travers la pratiques des simulations numériques, on peut observer le comportement des agents et conclure ce qui peut résulter du comportement collectif.

Aux débuts des années 2000, les premières séries de simulation sur la diffusion des idéologies ont abouti à des conclusions semblables : en partant de l’hypothèse que les agents intégrés dans la simulation sont conformistes, s’ils ne sont attentifs qu’aux opinions qui leur sont proches, deux résultats sont possibles. Soit on aboutit à un consensus, soit à des séparations en amas d’opinions différentes. En 2003, on ajoutait sur la population des agents conformistes, des agents extrémistes qui ne changent pas d’opinions, là on remarquait que les conformistes se ralliaient sur les positions extrémistes.

“Plus les agents intégrés dans les simulations de l’approche des systèmes complexes sont simples, plus les comportements sont stylisés” Gérard Weisbuch

Les travaux de la psychologie expérimentale tels que l’expérience Milgram où les participants ne sont pas tenus au courant de la raison de l’étude ne sont plus acceptés par les revues scientifiques, or les informer pourrait biaiser le résultat de l’expérience, d’où l’avantage de passer par les simulations numériques des agents proposées par l’approche des systèmes complexes. Et une bonne partie de la recherche en psychologie sociale et simulation multi-agents est d’essayer de comprendre les comportements paradoxaux.

“la finalité du professeur était que les jeunes réalisent qu’il est facile d’aboutir à une situation dans laquelle la coalition du groupe peut le conduire à déraper. Si je prends les conclusion de nos travaux, dans beaucoup d’expériences, on s’aperçoit que des comportements inadmissibles peuvent être le résultat de données psychologiques qui par l’effet d’une suite de boucles d’interactions répétées  peuvent aboutir au racisme par exemple.” G. W

LA CASSE DU SIÈCLE : La complexité du système financier

Ce film retrace l’histoire de quatre outsiders qui ont su anticiper, dès 2005, la crise des subprimes et la crise financière de 2008, et en tirer profit. Par l’analyse et l’enquête sur le terrain, ils rejettent l’idéologie et l’optimisme écrasants de leur milieu et sont les seuls à se positionner dans le sens de la débâcle qui leur apparaît certaine.

Ce film nous illustre comment la dynamique erratique des flux financiers et les risques systémiques qui y sont liés font du système financier mondial un systèmes complexe à part entière.

Pour débattre autour de la dynamique erratique des flux financiers et les risques systémiques illustrés par le film, l’ISC invite Yuri Biondi, Chargé de Recherche CNRS à l’IRISSO (Université Paris Dauphine) et responsable du groupe de recherche Dynamic Systems Analysis for Economic Theory and Society (DYNAMETS). Ses recherches portent, entre autres,  sur l’analyse des systèmes dynamiques, la régulation financière, la gouvernance et la RSE.

Le scientifique confirme l’effervescence créée autour de l’anticipation de la crise des subprimes.

“Il est vrai qu’en 2005, il y’a eu de positions par certains économistes qui commençaient à s’alerter. Le timing du film est très précis et Il y’a un effort de vulgarisation, une vraie histoire dans un phénomène assez complexe. Le film fait des arrêts sur des personnages connus qui expliquent les aspects comportementaux et autres systémiques et collectifs liés à la finance.” Yuri Biondi

Une complexité artificielle

Dans le film, les autorités de régulation n’ont pas vu les choses venir, les choses seraient peut être différentes avec la modélisation.

La complexité de la crise financière de 2007 est artificielle et cela a été dit dans le film : tant que le prêt hypothécaire est simple, il n’y a qu’une petite marge de gain, dès qu’on déclenche des vagues de complexité en faisant des prêts plus risqués  (les subprimes), le profil augmente. La banque devient producteur de ces produits à risque qui sont vendus à d’autres investisseurs à qui revient la tâche de détecter le risque.

Une série de paris est déclenchée, jusqu’au jour où on rajoute une autre couche de complexité en inventant les produits synthétiques. L’opacité des produits synthétiques ne permettait plus aux investisseurs, ni aux agences de notation, d’évaluer si les dettes qu’ils pariaient étaient solvables.

Ce n’est pas une complexité naturelle, elle est cherchée par les acteurs. 

L’approche systémique face à la crise des modèles

Quand la crise s’est déclenchée, il y’a eu beaucoup de polémique sur la qualité des modèles économiques et des conceptions de régulation. La fameuse question de la Reine d’Angleterre à un groupe d’économistes revient à l’occasion de chaque débat sur ladite crise : “Pourquoi personne n’a vu arriver la crise ? ”

“Un vrai débat a été ouvert, il est certain qu’il y’a une crise des modèles. A présent, les banques centrales sont de plus en plus focalisées sur l’approche des systèmes complexes comme alternative  en finance.” Y.B

D’après le scientifique, Ce qui a été problématique c’est l’aspect systémique traduit par la défaillance des mécanismes de défense. C’est difficile d’imaginer qu’une petite crise déclenché dans un pays X devienne une crise globale.

VICE-VERSA : La complexité du cerveau

Ce Disney nous immerge dans la tête d’une fillette, Riley, dont les émotions gérées par le cerveau sont représentées graphiquement par des personnages attachants : Joie, débordante de bonne humeur, Peur qui se charge de la sécurité, Colère s’assure que la justice règne et Dégoût empêche Riley de se faire empoisonner la vie. Quant à Tristesse, elle n’est pas très sûre de son rôle. Lorsque la famille de Riley emménage dans une grande ville, les Émotions ont fort à faire pour guider la jeune fille durant cette difficile transition.

Cette projection est proposée à un public jeune et leur offre une réflexion intéressante, sur le changement des émotions et la confusion des sentiments, discutée avec Salma Mesmoudi, Ingénieure de Recherche à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et responsable scientifique de la plateforme LinkRBrain, qui permet de traiter des données de masses sur le cerveau et de les modéliser.

Le cerveau de l’enfance à l’adolescence

Dans le fonctionnement d’un cerveau, les émotions et toutes les dimensions psychologiques ont leur place. Et d’après la scientifique, le film reste très proche de la réalité et il vulgarise cet aspect en montrant, à travers le déroulement des événements, que la tristesse est aussi importante que la joie.

Dans la vraie vie, le cerveau grandit comme le reste du corps et s’arrête de grandir à 25 ans. Et c’est pendant le sommeil qu’on grandit. L’hormone qui en est responsable est libéré pendant la nuit. Plus on dort, mieux on grandit et on apprend vite.

“Il est important de bien dormir, tant pour les enfants que pour les adultes. En dormant, on permet la consolidation des informations récoltées en journée pour les ranger dans la mémoire, exactement comme on a vu dans quelques scènes du film.” Salma Mesmoudi

A l’adolescence, on a toute la partie responsable des émotions qui est prête, la partie sous-corticale est mûre. En revanche, le lobe frontal, qui désigne les inhibitions, la cognition et la raison, n’est pas encore mature. C’est pour cette raison que, lors de la phase de l’adolescence, ce sont les émotions qui prennent le devant et non les inhibitions. L’adolescent, guidé par ses émotions, est facilement vexé, très sensible et ne connaît pas de freins.

Dans le cerveau, il y’a un grand rapport entre la mémoire et les émotions, la mémoire centrale ressemble à une bibliothèque, tout y est mémorisé. Et les choses dont on se souvient plus passent aux oubliettes, c’est ce qui est désigné dans le film par le subconscient.

Et la chercheuse de rassurer les enfants :  “La partie dont on n’est plus conscient a fini par sauver Railey, même si tout semble aller mal, il y’a des choses qu’on a vécues et qu’on a cru oublier mais qu’on se rappelle après.”

L’importance de vivre toutes les émotions

Railey a vécu un événement déclencheur qui est le déménagement. Elle n’était pas préparée émotionnellement et elle ne s’était surtout pas donnée le droit d’être triste. Salma explique aux enfants qu’on a le droit d’avoir peur, comme la peur de Railey devant le clown géant. On a le droit d’être triste lorsque quelque chose nous attriste.

“L’enfant vit dans l’imaginaire. Jusqu’à l’adolescence, c’est la partie émotionnelle qui se développe assez rapidement, on est très sensible et cette sensibilité aide dans les apprentissages. Les émotions sont à prendre avec beaucoup d’intérêts et le film le montre très clairement : à la fin c’est la tristesse qu’il fallait actionner pour sauver Railey. Il faut donner le droit à la personne de vivre ce qu’elle ressent.” S.M

AVANT LE DÉLUGE : La dynamique complexe des écosystèmes

Dans ce documentaire, l’acteur Leonardo Dicaprio parcourt le globe en quête de preuves visuelles de l’aggravation de la crise environnementale, qui inflige des dégâts irréversibles à des paysages immaculés, du Groenland à l’Indonésie, remettant en cause l’équilibre du climat et précipitant l’extinction des espèces animales. Le film tente de montrer comment la planète peut encore être sauvegardée et empêcher la modification brutale et peut-être irréversible de notre environnement.

Pour cette projection, deux chercheurs sont invités à animer le débat autour de la dynamique des écosystèmes : Harold Levrel, Professeur à l’Institut des sciences et industries du vivant et de l’environnement (AgroParisTech), et Chercheur en économie écologique au Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED).

Jacques de Gerlache, Écotoxicologue (professeur à l’institut Paul-Lambin à Bruxelles). Conseiller scientifique auprès du Conseil fédéral belge du développement durable. Manager du site multilingue www.greenfacts.org , qui offre des résumés factuels et vérifiés de rapports internationaux en matière de santé, environnement et développement durable.

Le changement climatique est une préoccupation mondiale et le film documentaire a suscité un débat très animé à l’issue de sa projection.

L’interaction de différents phénomènes (humains et environnementaux) illustrée dans le film et qui introduit l’approche systémique est très intéressante.” Harold Levrel

L’approche pollueur-payeur

La Taxe Carbone est un impôt environnemental direct, proportionnel aux quantités de dioxyde de carbone émises lors de la production et/ou de l’usage d’une ressource, d’un bien ou d’un service. Le principe de la Taxe Carbone est simple : plus un produit émet de gaz à effet de serre, plus il est taxé. (définition de l’E-RSE)

Jacques de Gerlache propose de taxer le carbone extrait du sol au lieu d’imposer la taxe sur l’émission du carbone, et avec l’argent de la taxe, on finance la recherche dans les entreprises qui ont réduit l’extraction ou l’émission du carbone.

Pour sa part, Harold Levrel trouve que la taxe environnementale présente des limites et n’est pas très efficace dans la mesure où elle présente une problématique d’équité.  La taxe sur la consommation des produits énergétiques chez les grands émetteurs de gaz à effet de serre (en maritime par exemple) n’est pas payée. Par simple critère de justice, imposer une taxe carbone aux citoyens sera bien évidemment mal acceptée.

L’approche des systèmes complexes

L’environnement englobe plusieurs enjeux : biodiversité, changement climatique, évolution des espèces, etc. Plusieurs solutions, étudiées séparément existent, mais l’approche des systèmes complexes permet de faire des modélisations pour trouver la solution idéale bénéfique à un aspect environnemental sans nuire au reste. Différentes simulations ont été faites et celle qui fonctionnerait le mieux serait la combinaison du changement du régime alimentaire déployé conjointement avec la reforestation.

“C’est impossible d’avoir une seule solution. Dire que l’avenir c’est le soleil et l’éolien rentre dans exactement la même logique des fossiles exploitées pendant tout un siècle comme solution unique pour obtenir de l’énergie.” H.L

Réussir à lutter contre le changement climatique tout en sauvant la biodiversité viendra de la combinaison de plusieurs solutions, c’est sur tous les facteurs possibles qu’il faut agir, il faut réussir une symbiose de tous les éléments. La solution réside dans l’approche systémique.

“A l’école, on a suivi un enseignement cartésien, on nous a appris à séparer les éléments. L’éclairage donné par l’approche systèmes complexes est un éclairage très important qui n’éteint aucune autre lumière, c’est cette dimension qui intègre plusieurs éléments en interaction (intégrative) qui manque et qu’il faut encourager. On avancerait dans bcp de domaines” Jacques de Gerlache


Post de blog rédigé par Kawtar Mawas, auditrice au Magister sur la Médiation Socio-Culturelle des Sciences et Techniques en société (CNAM) et stagiaire Communication Scientifique à l’ISC-PIF.