PRIX DU PUBLIC ARTEX 2023
Les Pépinières Européennes de Création
Les Pépinières Européennes de Création
Le Prix ARTEX du Public est décerné à travers un vote par jugement majoritaire de la part du public à l’œuvre qui a le mieux été capable de fusionner art et science et donner à voir la science des systèmes complexes.
Ce Prix est offert par les Pépinières Européennes de Création, structure qui soutient des projets avec une approche transversale entre disciplines utilisant des nouvelles pratiques créatives hybrides. Riche d’un réseau de partenariats en France, en Europe et à l’International, les Pépinières promeuvent des programmes de résidence d’artistes, d’échanges, de soutien à la mobilité, à la production et à la diffusion avec une attention particulière aux émergences contemporaines hybrides et aux cultures numériques.
L’ISC-PIF est ravi d’annoncer que le Prix ARTEX 2023 a été attribué à la performance de création originale From Plankton to human bodies : the dance of interacting types.
Bravo à Silvia De Monte, Adrienne Nowak, Marcela Moura, Florestan Labourdette, Pierre Carré et aux participants bénévoles pour cette récompense méritée !
Une performance participative
“Une possibilité est que les interactions complexes entre les espèces soient elles-mêmes moteur du changement dans la composition de la communauté microbienne. “
Emil Mallmin, Arne Traulsen, Silvia De Monte
La performance de création From plankton to human bodies: the dance of interacting types est née de la collaboration entre la scientifique Silvia De Monte (ENS Paris), membre du comité de pilotage de l’ISC-PIF, et les artistes Adrienne Nowak (réalisatrice d’animation), Florestan Labourdette (musicien), Pierre Carré (IRCAM) et Marcela Moura (EASTAP) avec la collaboration du collectif Partition Animée.
Ce projet s’inscrit dans une démarche de soutien des projets de création artistiques capable de transmettre avec rigueur, capacité de transmission et créativité artistique la science des systèmes complexes. Grâce à la mise en place sur notre site de la page-vitrine L’univers systèmes complexes, Adrienne Nowak et Silvia De Monte ont démarré une collaboration à laquelle se sont ensuite ajoutés les artistes qui ont dirigé l’atelier de conception de la performance participative.
Le travail de Silvia De Monte interroge, avec une approche venant de la physique statistique des systèmes complexes, la possibilité que la grande diversité taxonomique caractéristique des communautés planctoniques ait son origine de l’interaction même entre les différentes espèces et non pas des seuls facteurs environnementaux. Le modèle révèle ainsi des états émergents, des possibles scénarios de coexistence des communautés planctoniques qui fournissent une nouvelle clé interprétative aux données récoltées lors des missions scientifiques (TARA Océans et autres).
En s’appuyant sur ces travaux, Adrienne Nowak a dessiné des espèces imaginaires de plancton qu’elle a ensuite animées pour reproduire les différents scénarios de coexistence des communautés planctoniques trouvés par Silvia De Monte et ses collègues.
A la suite de ce travail, un atelier de deux jours, dirigé par Marcela Moura pour la danse et de Florestan Labourdette et Pierre Carré pour la musique, a amené un groupe d’amateurs à faire émerger, à partir de règles simples d’improvisation vocale, motrice et rythmique, des phénomènes d’auto-organisation similaires aux scénarios des communautés planctoniques.
Grâce à des techniques interactives d’animation, Adrienne Nowak a pu dialoguer pendant la performance avec les participants, en réagissant à leurs actions et en proposant des nouvelles configurations tout au long du spectacle.
« Depuis toujours les scientifiques se sont émerveillés devant la complexité des écosystèmes et se sont demandés quels pouvaient bien être les processus écologiques qui permettent aux communautés écologiques de rester très diversifiées malgré la compétition pour des ressources communes partagées et finies. »
Depuis la récolte massive de données biologiques et le séquençage génomique de la part de missions comme TARA Océan, les communautés planctoniques sont devenues l’emblème de ce casse-tête de la coexistence dans la compétition, car il a été découvert que ces populations sont composées d’un nombre extrêmement important d’espèces.
Grâce à la récolte de données, il est apparu également clair que la composition en espèce varie énormément d’un endroit à l’autre de l’océan. Néanmoins, toutes ces communautés ont des propriétés communes : chacune est dominée par un petit groupe d’espèces abondantes, accompagnés par un grand nombre d’espèces rares dont les abondances suivent une même loi partout.
Comment alors expliquer ce renouvellement d’espèces abondantes à chaque observations ? Comment rendre compte d’une composition planctonique qui, bien que différente à chaque observation, est remarquablement similaire dans sa structure ?
Le changement des conditions environnementales pourrait être une réponse, mais ce renouvellement a été observé également quand les conditions environnementales ne varient pas de manière importante, comme dans des expériences au laboratoire.
Quels éléments alors pourraient nous dévoiler comment la vie microbienne s’agence dans les grandes étendues océaniques ?
La réponse proposée par Silvia De Monte et ses collègues est simple et fascinante : les interactions même entre espèces sont la clé des changements de composition observés dans les communautés planctoniques.
Grâce à des méthodologies mathématiques et une approche issue de la science des systèmes complexes, les chercheurs ont pu mettre en évidence les dynamiques qui émergent au sein des communautés planctoniques quand les interactions entre espèces sont fortes.
Trois états principaux ont été trouvés en variant la force d’interaction entre espèces.
Un d’entre eux – correspondant à des valeurs d’interaction intermédiaires et hétérogènes – ressemble remarquablement à celui observé chez les communautés planctoniques des océans.
Ces différents états planctoniques ont été animés, mis en scène et incarnés par les participants à la performance From plankton to human bodies: the dance of interacting types.
Article originale : Mallmin E., Traulsen A., De Monte S., Chaotic turnover of rare and abundant species in a strongly interacting model community. https://arxiv.org/abs/2306.11031
Cet état trouvé à de faibles valeurs d’interaction entre les espèces, correspond à un état où un très grand nombre d’espèces coexistent à l’équilibre dans un même environnement. Chaque espèce, soit-elle mutualiste ou compétitive avec les autres, reste également abondante dans le temps.
Cet état émerge dans la performance comme un état de coexistence pacifique, où rien de remarquable ne se passe et les différents types coexistent car chacun « ignore » les autres.
Chaque espèce dans la communauté a une abondance constante dans le temps.
Animations par Adrienne Nowak de l’état I à haute diversité et faible interaction.
Quand les interactions – soient-elles mutualistes ou compétitives – deviennent plus fortes, les communautés planctoniques entrent dans un état, dit chaotique, où un petit groupe d’espèces domine la dynamique dans une alternance perpétuelle d’éclat de croissance. Dans le même temps, une myriade d’espèces rares coexistent dans la communauté et, par moment, envahissent le groupe d’espèces dominantes en le devenant à leur tour.
Cet état chaotique pourrait être confondu lors des observations océanographiques avec une alternance aléatoire entre espèces, mais il est en réalité un état structurellement différent.
Il s’agit en effet d’un état qui contient dans sa structure un grand nombre d’états possibles qui sont « visités » et donc observables seulement pour une durée limitée.
Cette structure interne, qui permet l’alternance observée entre espèces dominantes, donne à la distribution des possibles compositions des communautés planctoniques une forme très spécifique.
Un nombre limité d’espèces abondantes s’alterne dans la communauté au cours du temps.
Comparaison entre modèle et données pour la distribution des abondances des espèces dans les communautés planctoniques.
Animations par Adrienne Nowak de l’état II à haute diversité et interaction modérée.
Cette forme spécifique est observée dans les données des communautés planctoniques prélevées dans les océans, en suggérant donc que les dynamiques planctoniques observées sont généreés essentiellement par les interactions mêmes entre les différentes espèces.
Il s’agit donc d’un cas qui met en lumière de manière exemplaire l’importance de l’approche systèmes complexes dans l’interprétation des comportements de communautés d’un grand nombre d’individus en interaction.
Dans cet état, les performateurs interagissent entre eux en formant des structures rythmiques et vocales variées, qui évoluent en permanence.
Quand les interactions sont fortement compétitives, seulement une ou un petit nombre d’espèces domine la communauté de manière constante dans le temps.
Dans la performance, un état de monotonie sonore et d’immobilité progressive s’instaure.
A forte interaction une seule espèce domine la communauté.
Animations par Adrienne Nowak de l’état III où la domination d’une espèce s’instaure dans la communauté.
L’objectif de l’atelier-laboratoire associé à la performance a été de faire émerger, à partir de règles simples d’improvisation vocale, motrice et rythmique, des phénomènes d’auto-organisation de groupe. Ces règles s’inspirent directement de modèles déduits de l’observation d’écosystèmes naturels, comme le chant des cigales, le scintillement des lucioles ou les vols d’étourneaux. L’émergence d’un résultat collectif à partir de comportements individuels s’observe également lors de la synchronisation des applaudissements de spectateurs ou de vagues de “ola” de supporters.
En partant des travaux de la scientifique Silvia De Monte sur les dynamiques de population au sein des planctons et encadrés par un groupe d’artistes, les participants ont construit une performance collective de danse et de musique, guidée par une animation vidéo d’Adrienne Nowak.
À partir du mouvement de leur corps, de la voix et de petits instruments de percussion (claves), les participants ont pu créer ensemble une œuvre de danse sonore par des exercices d’improvisation dirigée. Les participants à l’atelier-laboratoire ont ainsi pu expérimenter dans leur propre corps et à travers la musique qu’ils ont produite, l’instauration des phénomènes collectifs qui sont propres aux systèmes complexes.
Cet atelier se situe dans la continuité des démarches musicales initiées notamment par Iannis Xenakis, qui a introduit les traitements stochastiques de grandes masses d’événements sonores, ainsi que par Guy Reibel, connu pour ses performances musicales naissant d’une pratique d’improvisation vocale collective.
La démarche de danse-théâtre s’appuie sur des règles issues de la technique Viewpoints, issue de la danse et ensuite développé par Anne Bogart et Tina Landau, pour créer des mouvements collectifs basés sur des principes liés à l’espace et au temps.
Cet atelier a fait suite à plusieurs travaux d’improvisation de groupe déjà menés par le compositeur et enseignant Florestan Labourdette dans le domaine du chant choral. Il s’inscrit dans une collaboration scientifique en cours avec Pierre Carré (IRCAM), docteur en Mécanique et Acoustique, dont l’expertise a permis d’élargir la palette des modèles d’improvisation.
L’improvisation de danse a été guidée par Marcela Moura, chercheuse en théâtre à la European Association for the Study of Art and Performance (EASTAP) et animatrice de ce type d’ateliers depuis plusieurs années.
Les recherches de Silvia De Monte portent sur la dynamique écologique et évolutive des comportements collectifs, avec des applications aux populations microbiennes.
Physicienne de formation, elle travaille à l’interface de la microbiologie, de l’écologie et de l’évolution à l’Institut de biologie de l’ENS de Paris et à l’Institut Max Planck de biologie évolutive.
Née à Varsovie en Pologne, Adrienne Nowak entre à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et participe au programme d’échange avec Calarts à Los Angeles. Elle réalise Gusla ou les malins, son premier film professionnel. Puis, en collaboration avec Cécile Rousset et Romain Blanc Tailleur, des épisodes de la websérie L’amour a ses réseaux. Depuis elle explore l’articulation de l’animation avec la danse et la performance.
Marcela Moura – Docteur en théâtre à la Sorbonne Nouvelle – Paris 3 (Cotutelle avec UNIRIO – RJ) avec la thèse : “Le Processus de Création d’Enrique Diaz ou la Construction de Systèmes Flous”. Proposition d’une vision systémique pour le théâtre. Master et Licence en Théâtre. Licence en Ingénierie de systèmes informatiques. Expériences comme metteure en scène, comédienne et éducatrice. Thèmes de recherche : Danse-théâtre, performance et systèmes complexes.
Florestan Labourdette est un compositeur et enseignant qui place la musique vocale au cœur de sa pratique musicale. Il est joué par des ensembles vocaux tels que InChorus, Méliades ou Mélo’Men. Au sein de ses pièces, il développe un langage construit sur l’écriture de la résonance et de la vibration, ainsi que sur la recherche permanente d’une puissance rythmique ; il travaille également à partir de musiques traditionnelles.
Passionné de cinéma, il compose aussi pour l’image : principalement pour des courts-métrages (Gobelins, EnsAD, Médecins sans frontières) ainsi que pour des « Sons et lumières » (Cathédrale d’Orléans, Théâtre d’Épinal…). Il réalise aussi fréquemment des arrangements vocaux et orchestraux pour tout type de public.
En parallèle, il enseigne la Formation Musicale ainsi que l’Écriture aux conservatoires de Versailles et de Viroflay. Il place le développement de la créativité ainsi que le plaisir de faire de la musique au centre de son enseignement.
Au CNSMDP, Florestan Labourdette a obtenu son Master d’Écriture, son Master de Musicologie, son prix d’Orchestration et termine actuellement le cursus supérieur de Composition de musique à l’image. Il a également suivi les cours de Composition de musique vocale de Guy Reibel où il a pu développer son travail sur l’improvisation vocale collective – voir le lien de la captation live d’un atelier vocal. À l’Université Paris-Sorbonne, il a soutenu un Master de Musicologie sous la direction de Philippe Cathé.
Avec Pierre Carré et Raphaëlle Blin, il a créé l’association Polyphonies Contemporaines qui cherche à promouvoir l’interdisciplinarité artistique à travers l’organisation de conférences d’esthétique, ateliers et concerts.
À la fois mathématicien et musicien, Pierre Carré est titulaire d’un doctorat en Mécanique et Acoustique (Sorbonne Université / UPMC), au cours duquel il développe des méthodes numériques pour la synthèse sonore par modèle physique de phénomènes non linéaires, et de plusieurs prix du CNSMDP en Musicologie, Écriture et Orchestration. Convaincu de la pertinence des échanges entre milieux artistiques et scientifiques, et profondément engagé pour la recherche et la création contemporaine, il mène en parallèle plusieurs activités transdisciplinaires à la frontière de la musique et des mathématiques.
Cet intérêt l’a conduit à mener des travaux de recherches autour de la figure de Iannis Xenakis, compositeur, architecte et mathématicien, travaux qui ont notamment permis de remettre en œuvre le Polytope de Cluny à l’IRCAM en 2022, cinquante ans après sa création. Après avoir participé à l’exposition pour le centenaire Xenakis à la Philharmonie de Paris, il travaille à l’édition de ses correspondances, et collabore avec la BnF autour du fonds d’archives électroacoustiques du compositeur.
Outre ses activités de recherche, Pierre Carré met également ses compétences scientifiques à l’œuvre lors de créations artistiques originales : il co-imagine le spectacle Transformer l’Homme à la Fondation Gulbenkian (Lisbonne) en 2022, une performance visuelle et sonore, alliant percussion, chœur et lumière, qui puise ses inspirations dans des modèles de dynamique des populations et de comportements émergents.
Il travaille actuellement à l’IRCAM sur plusieurs collaborations artistiques en tant que Réalisateur en Informatique Musicale et enseigne l’analyse musicale aux étudiants en chant du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris.
Le Collectif Partition Animée, fondé par Gustavo Almenara, réalisateur d’animation, et Romain Blanc-Tailleur, réalisateur et compositeur, explore les possibilités qu’offrent le cinéma d’animation et les techniques de vidéomapping dans l’écriture et la composition musicale et chorégraphique. En développant à la fois un langage de signes animés destiné a diriger des ensembles, un instrument de musique visuelle et une expérience de performances, le collectif s’inscrit dans une démarche de spectacle (Bains numériques d’Enghien, Festival Across, Chapiteau Raj’ganawak…), de collaborations (Jan Schumarer, Ilan Kadouch’s Almost , Stephane Tsapis…) et d’enseignement (CRR de Noisiel, conservatoire de Marne la vallée, école de musique d’Enghien les Bains…).