Des phylomémies aux stalagmemes

La visu système complexe au Palais de Tokyo

Du 14 juin 2017 au 9 septembre 2017, le Palais de Tokyo expose les fruits de rencontre entre artistes et chercheurs dans le cadre de l’exposition Le Rêve des formes, conçue comme “un paysage imaginaire, un jardin monstrueux où se cultivent des formes périssables et des surfaces en germination, des organismes protubérants et de plates silhouettes” (site du Palais de Tokyo). David Chavalarias, directeur de l’ISC-PIF, a conçu avec Jonathan Pêpe et Thibaut Rostagnat, deux jeunes artistes issus du Fresnoy, une installation interactive, les “stalagmemes”, qui souligne comment les nouvelles techniques de visualisation utilisées aussi bien dans la recherche que dans le champs artistique contribue à renouveler le champs du perceptible. Il partage avec nous les détails de ce projet à la croisée entre la recherche et les arts.

Les phylomémies

Mes travaux sur la reconstruction de l’évolution des sciences m’ont amené à proposer le concept de phylomémies (Chavalarias & Cointet 2013) qui constituent une représentation de l’évolution des idées à partir de l’analyse d’un large corpus de documents (ex toutes les publications scientifiques d’un domaine).
Ces phylomémies ont des formes très particulières qui reflètent la dynamique scientifique d’un domaine (voir par exemple mon HDR). La même approche peut être appliquée à d’autres types de corpus, tels que les discussions du web ou de Twitter pour analyser l’évolution des débats.

J’ai proposé plusieurs visualisations de ces objets mais j’ai toujours eu l’envie de les rendre palpables et de les présenter non comme des outils, mais comme des organismes à part entière qui sont matérialisent notre vie collective numérique.

Invité à participer à des rencontres art & science pour la préparation d’une exposition à l’occasion des vingt ans du Fresnoy, j’y ai rencontré Jonathan Pêpe, dont le travail sur la plastique de formes organiques imaginaires m’a immédiatement séduit. Partenaire idéal pour un dialogue art-science fructueux, nous avons cherché à imaginer une forme poétique des phylomémies; incarnées en créatures trogloxènes.  Jonathan Pêpe leur a donné vie, et Thibault Rostagan a apporté une touche finale au projet via son art de créer des univers virtuels.

Chavalarias & Cointet (2013) Phylomemetic Patterns in Science Evolution—The Rise and Fall of Scientific Fields, PLOS One

La contribution à l’exposition

Nos sociétés numériques laissent de multiples traces sur le web et les réseaux sociaux, dont l’accumulation constitue le support d’une intelligence collective.

A l’instar de la chute lente et continue d’eaux calcaires, qui aboutit à la formation de stalagmites, cette accumulation de connaissances sur le web génère des formes qui se déploient au gré de l’actualité.

Conçue par les artistes Jonathan Pêpe et Thibaut Rostagnat, tous deux diplômés du Fresnoy, en collaboration avec le mathématicien David Chavalarias, l’installation Stalagmèmes vise à rendre perceptible ces traces de l’intelligence collective.

Elle met en scène des créatures trogloxènes dont les formes sont issues de l’analyse des débats en ligne sur le changement climatique. Celles-ci croissent en fonction de l’attention qui leur est accordée sur le web au moment où le spectateur les regarde. Le recours à des techniques issues de l’industrie du jeu vidéo permet de transposer ces phénomènes collectifs dans un espace poétique, invitant le spectateur à un questionnement sur l’origine de ces formes.

Les coulisses du dispositif

 Stalagmèmes s’appuie sur une reconstruction phylomémétique des débats en ligne sur le changement climatique. J’ai utilisé pour cela les données du Tweetoscope Climatique,  dispositif d’analyse en continu des débats concernant le changement climatique sur le web, que nous avons développé à l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Ile-de-France (Chavalarias, Panahi, Castillo 2015). Ce dispositif avait lui même été conçu pour l’exposition Le Climat à 360° à la Cité des Sciences et de l’Industrie.Cette reconstruction de phylomémie est la première à s’appuyer sur des données de cette nature (Twitter + web) et reflète de manière inédite l’évolution de l’attention des réseaux sociaux et du web pour le changement climatique.

La croissance des phylomémies dans Stalagmèmes est pilotée par les données que nous récoltons quotidiennement via le Tweetoscope Climatique (~500.000 tweets analysés par semaine). L’objectif est de montrer les différences d’attention entre les différentes thématiques liées au changement climatique. Certaines sont bien connues du public et se croissent vite dans l’installation, d’autre au contraire sont plus confidentielles et mettrons plus longtemps à se développer. Le site compagnon stalagmemes.org permettra à chacun de prendre connaissance des contenus différentes branches phylomemetiques présentées dans Stalagmèmes et des problématiques associées.

Nous avons développé pour cette installation des connecteurs et des chaînes de traitement spécifiques pour adapter les données du Tweetoscope Climatique à l’installation Stalagmèmes. Entre 2015 et juin 2017, le Tweetoscope Climatique a collecté un corpus de plus de 70 millions de tweets avec contenus web associés portant spécifiquement sur les problématiques du changement climatique.


Exposition Le Rêve des Formes
Palais de Tokyo

12 juin – 12 septembre 2017
Site Officiel: http://www.palaisdetokyo.com/fr/evenement/le-reve-des-formes

Revue de Presse UniverscienceTV

  • Équipe

    Jonathan Pêpe, Artiste
    Le Fresnoy

    Thibault Rostagnat, Artiste
    Le Fresnoy

    David Chavalarias,
    Directeur de l’ISC-PIF, Directeur de Recherche CNRS, Chercheur CAMS UMR 8557 – EHESS